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Song:Prose du transsibirien et de la petite jehanne de france
Album:Baron SamediGenres:Rock
Year:2013 Length:1617 sec

Lyricist: BERNARD LAVILLIERS

Lyrics:

En ce temps-là jétais en mon adolescence
Javais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance
Jétais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance
Jétais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares
Et je navais pas assez des sept gares et des mille et trois tours
Car mon adolescence était si ardente et si folle
Que mon cSur, tour à tour, brûlait comme le temple
dÉphèse ou comme la Place Rouge de Moscou
Quand le soleil se couche.
Et mes yeux éclairaient des voies anciennes.
Et jétais déjà si mauvais poète
Que je ne savais pas aller jusquau bout.

Le Kremlin était comme un immense gâteau tartare
Croustillé dor,
Avec les grandes amandes des cathédrales toutes blanches
Et lor mielleux des cloches&

Un vieux moine me lisait la légende de Novgorode
Javais soif
Et je déchiffrais des caractères cunéiformes
Puis, tout à coup, les pigeons du Saint-Esprit senvolaient sur la place
Et mes mains senvolaient aussi, avec des bruissements dalbatros
Et ceci, cétait les dernières réminiscences du dernier jour
Du tout dernier voyage
Et de la mer.

Pourtant, jétais fort mauvais poète.
Je ne savais pas aller jusquau bout.
Javais faim
Et tous les jours et toutes les femmes dans les cafés et tous les verres
Jaurais voulu les boire et les casser
Et toutes les vitrines et toutes les rues
Et toutes les maisons et toutes les vies
Et toutes les roues des fiacres qui tournaient en tourbillon sur les mauvais pavés
Jaurais voulu les plonger dans une fournaise de glaives
Et jaurais voulu broyer tous les os
Et arracher toutes les langues
Et liquéfier tous ces grands corps étranges et nus sous les vêtements qui maffolent&
Je pressentais la venue du grand Christ rouge de la révolution russe&
Et le soleil était une mauvaise plaie
Qui souvrait comme un brasier.

En ce temps-là jétais en mon adolescence
Javais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de ma naissance
Jétais à Moscou, où je voulais me nourrir de flammes
Et je navais pas assez des tours et des gares que constellaient mes yeux

En Sibérie tonnait le canon, cétait la guerre
La faim le froid la peste le choléra
Et les eaux limoneuses de lAmour charriaient des millions de charognes.
Dans toutes les gares je voyais partir tous les derniers trains
Personne ne pouvait plus partir car on ne délivrait plus de billets
Et les soldats qui sen allaient auraient bien voulu rester&
Un vieux moine me chantait la légende de Novgorode.

Moi, le mauvais poète qui ne voulais aller nulle part, je pouvais aller partout
Et aussi les marchands avaient encore assez dargent
Pour aller tenter faire fortune.
Leur train partait tous les vendredis matin.
On disait quil y avait beaucoup de morts.
Lun emportait cent caisses de réveils et de coucous de la Forêt-Noire
Un autre, des boîtes à chapeaux, des cylindres et un assortiment de tire-bouchons de Sheffield
Un autre, des cercueils de Malmoë remplis de boîtes de conserve et de sardines à lhuile
Puis il y avait beaucoup de femmes
Des femmes, des entre-jambes à louer qui pouvaient aussi servir
De cercueils
Elles étaient toutes patentées
On disait quil y avait beaucoup de morts là-bas
Elles voyageaient à prix réduits
Et avaient toutes un compte-courant à la banque.

Or, un vendredi matin, ce fut enfin mon tour
On était en décembre
Et je partis moi aussi pour accompagner le voyageur en bijouterie qui se rendait à Kharbine
Nous avions deux coupés dans lexpress et 34 coffres de joaillerie de Pforzheim
De la camelote allemande Made in Germany
Il mavait habillé de neuf, et en montant dans le train javais perdu un bouton
- Je men souviens, je men souviens, jy ai souvent pensé depuis -
Je couchais sur les coffres et jétais tout heureux de pouvoir jouer avec le browning nickelé quil mavait aussi donné

Jétais très heureux insouciant
Je croyais jouer aux brigands
Nous avions volé le trésor de Golconde
Et nous allions, grâce au transsibérien, le cacher de lautre côté du monde
Je devais le défendre contre les voleurs de lOural qui avaient attaqué les saltimbanques de Jules Verne
Contre les khoungouzes, les boxers de la Chine
Et les enragés petits mongols du Grand-Lama
Alibaba et les quarante voleurs
Et les fidèles du terrible Vieux de la montagne
Et surtout, contre les plus modernes
Les rats dhôtel
Et les spécialistes des express internationaux.

Et pourtant, et pourtant
Jétais triste comme un enfant.
Les rythmes du train
La moëlle chemin-de-fer des psychiatres américains
Le bruit des portes des voix des essieux grinçant sur les rails congelés
Le ferlin dor de mon avenir
Mon browning le piano et les jurons des joueurs de cartes dans le compartiment dà côté
Lépatante présence de Jeanne
Lhomme aux lunettes bleues qui se promenait nerveusement dans le couloir et qui me regardait en passant
Froissis de femmes
Et le sifflement de la vapeur
Et le bruit éternel des roues en folie dans les ornières du ciel
Les vitres sont givrées
Pas de nature!
Et derrière les plaines sibériennes, le ciel bas et les grandes ombres des Taciturnes qui montent et qui descendent

Je suis couché dans un plaid
Bariolé
Comme ma vie
Et ma vie ne me tient pas plus chaud que ce châle Écossais
Et lEurope tout entière aperçue au coupe-vent dun express à toute vapeur
Nest pas plus riche que ma vie
Ma pauvre vie
Ce châle
Effiloché sur des coffres remplis dor
Avec lesquels je roule
Que je rêve
Que je fume
Et la seule flamme de lunivers
Est une pauvre pensée&

Du fond de mon cSur des larmes me viennent
Si je pense, Amour, à ma maîtresse;
Elle nest quune enfant, que je trouvai ainsi
Pâle, immaculée, au fond dun bordel.

Ce nest quune enfant, blonde, rieuse et triste,
Elle ne sourit pas et ne pleure jamais;
Mais au fond de ses yeux, quand elle vous y laisse boire,
Tremble un doux lys dargent, la fleur du poète.

Elle est douce et muette, sans aucun reproche,
Avec un long tressaillement à votre approche;
Mais quand moi je lui viens, de-ci, de-là, de fête,
Elle fait un pas, puis ferme les yeux et fait un pas.
Car elle est mon amour, et les autres femmes
Nont que des robes dor sur de grands corps de flammes,
Ma pauvre amie est si esseulée,
Elle est toute nue, na pas de corps elle est trop pauvre.

Elle nest quune fleur candide, fluette,
La fleur du poète, un pauvre lys dargent,
Tout froid, tout seul, et déjà si fané
Que les larmes me viennent si je pense à son cSur.

Et cette nuit est pareille à cent mille autres quand un train file dans la nuit
- Les comètes tombent -
Et que lhomme et la femme, même jeunes, samusent à faire lamour.

Le ciel est comme la tente déchirée dun cirque pauvre dans un petit village de pêcheurs
En Flandres
Le soleil est un fumeux quinquet
Et tout au haut dun trapèze une femme fait la lune.
La clarinette le piston une flûte aigre et un mauvais tambour
Et voici mon berceau
Mon berceau
Il était toujours près du piano quand ma mère comme Madame Bovary jouait les sonates de Beethoven
Jai passé mon enfance dans les jardins suspendus de Babylone
Et lécole buissonnière, dans les gares devant les trains en partance
Maintenant, jai fait courir tous les trains derrière moi
Bâle-Tombouctou
Jai aussi joué aux courses à Auteuil et à Longchamp
Paris-New York
Maintenant, jai fait courir tous les trains tout le long de ma vie
Madrid-Stockholm
Et jai perdu tous mes paris
Il ny a plus que la Patagonie, la Patagonie, qui convienne à mon immense tristesse, la Patagonie, et un voyage dans les mers du Sud
Je suis en route
Jai toujours été en route
Je suis en route avec la petite Jehanne de France.

Le train fait un saut périlleux et retombe sur toutes ses roues
Le train retombe sur ses roues
Le train retombe toujours sur toutes ses roues.

Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre?

Nous sommes loin, Jeanne, tu roules depuis sept jours
Tu es loin de Montmartre, de la Butte qui ta nourrie, du Sacré-CSur contre lequel tu tes blottie
Paris a disparu et son énorme flambée
Il ny a plus que les cendres continues
La pluie qui tombe
La tourbe qui se gonfle
La Sibérie qui tourne
Les lourdes nappes de neige qui remontent
Et le grelot de la folie qui grelotte comme un dernier désir dans lair bleui
Le train palpite au cSur des horizons plombés
Et ton chagrin ricane&

Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre?

Les inquiétudes
Oublie les inquiétudes
Toutes les gares lézardées obliques sur la route
Les fils télégraphiques auxquels elles pendent
Les poteaux grimaçants qui gesticulent et les étranglent
Le monde sétire sallonge et se retire comme un accordéon quune main sadique tourmente
Dans les déchirures du ciel, les locomotives en furie
Senfuient
Et dans les trous,
Les roues vertigineuses les bouches les voix
Et les chiens du malheur qui aboient à nos trousses
Les démons sont déchaînés
Ferrailles
Tout est un faux accord
Le broun-roun-roun des roues
Chocs
Rebondissements
Nous sommes un orage sous le crâne dun sourd&

Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre?

Mais oui, tu ménerves, tu le sais bien, nous sommes bien loin
La folie surchauffée beugle dans la locomotive
La peste le choléra se lèvent comme des braises ardentes sur notre route
Nous disparaissons dans la guerre en plein dans un tunnel
La faim, la putain, se cramponne aux nuages en débandade
Et fiente des batailles en tas puants de morts
Fais comme elle, fais ton métier&

Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre?

Oui, nous le sommes, nous le sommes
Tous les boucs émissaires ont crevé dans ce désert
Entends les sonnailles de ce troupeau galeux
Tomsk Tchéliabinsk Kainsk Obi Taïchet Verkné Oudinsk Kourgane Samara Pensa-Touloune
La mort en Mandchourie
Est notre débarcadère est notre dernier repaire
Ce voyage est terrible
Hier matin
Ivan Oulitch avait les cheveux blancs
Et Kolia Nicolaï Ivanovitch se ronge les doigts depuis quinze jours&
Fais comme elles la Mort la Famine fais ton métier
Ça coûte cent sous, en transsibérien, ça coûte cent roubles
Enfièvre les banquettes et rougeoie sous la table
Le diable est au piano
Ses doigts noueux excitent toutes les femmes
La Nature
Les Gouges
Fais ton métier
Jusquà Kharbine&

Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre?

Non mais& fiche-moi la paix& laisse-moi tranquille
Tu as les hanches angulaires
Ton ventre est aigre et tu as la chaude-pisse
Cest tout ce que Paris a mis dans ton giron
Cest aussi un peu dâme& car tu es malheureuse
Jai pitié jai pitié viens vers moi sur mon cSur
Les roues sont les moulins à vent du pays de Cocagne
Et les moulins à vent sont les béquilles quun mendiant fait tournoyer
Nous sommes les culs-de-jatte de lespace
Nous roulons sur nos quatre plaies
On nous a rogné les ailes
Les ailes de nos sept péchés
Et tous les trains sont les bilboquets du diable
Basse-cour
Le monde moderne
La vitesse ny peut mais
Le monde moderne
Les lointains sont par trop loin
Et au bout du voyage cest terrible dêtre un homme avec une femme&

Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre?

Jai pitié jai pitié viens vers moi je vais te conter une histoire
Viens dans mon lit
Viens sur mon cSur
Je vais te conter une histoire&
Oh viens! viens!

Aux Fidji règne léternel printemps
La paresse
Lamour pâme les couples dans lherbe haute et la chaude syphilis rôde sous les bananiers
Viens dans les îles perdues du Pacifique!
Elles ont nom du Phénix, des Marquises
Bornéo et Java
Et Célèbes a la forme dun chat.

Nous ne pouvons pas aller au Japon
Viens au Mexique!
Sur ses hauts plateaux les tulipiers fleurissent
Les lianes tentaculaires sont la chevelure du soleil
On dirait la palette et les pinceaux dun peintre
Des couleurs étourdissantes comme des gongs,
Rousseau y a été
Il y a ébloui sa vie
Cest le pays des oiseaux
Loiseau du paradis, loiseau-lyre
Le toucan, loiseau moqueur
Et le colibri niche au cSur des lys noirs
Viens!
Nous nous aimerons dans les ruines majestueuses dun temple aztèque
Tu seras mon idole
Une idole bariolée enfantine un peu laide et bizarrement étrange
Oh viens!

Si tu veux nous irons en aéroplane et nous survolerons le pays des mille lacs,
Les nuits y sont démesurément longues
Lancêtre préhistorique aura peur de mon moteur
Jatterrirai
Et je construirai un hangar pour mon avion avec les os fossiles de mammouth
Le feu primitif réchauffera notre pauvre amour
Samowar
Et nous nous aimerons bien bourgeoisement près du pôle
Oh viens!

Jeanne Jeannette Ninette nini ninon nichon
Mimi mamour ma poupoule mon Pérou
Dodo dondon
Carotte ma crotte
Chouchou ptit-cSur
Cocotte
Chérie ptite chèvre
Mon ptit-péché mignon
Concon
Coucou
Elle dort.

Elle dort
Et de toutes les heures du monde elle nen a pas gobé une seule
Tous les visages entrevus dans les gares
Toutes les horloges
Lheure de Paris lheure de Berlin lheure de Saint-Pétersbourg et lheure de toutes les gares
Et à Oufa, le visage ensanglanté du canonnier
Et le cadran bêtement lumineux de Grodno
Et lavance perpétuelle du train
Tous les matins on met les montres à lheure
Le train avance et le soleil retarde
Rien ny fait, jentends les cloches sonores
Le gros bourdon de Notre-Dame
La cloche aigrelette du Louvre qui sonna la Barthélemy
Les carillons rouillés de Bruges-la-Morte
Les sonneries électriques de la bibliothèque de New-York
Les campanes de Venise
Et les cloches de Moscou, lhorloge de la Porte-Rouge qui me comptait les heures quand jétais dans un bureau
Et mes souvenirs
Le train tonne sur les plaques tournantes
Le train roule
Un gramophone grasseye une marche tzigane
Et le monde, comme lhorloge du quartier juif de Prague, tourne éperdument à rebours.

Effeuille la rose des vents
Voici que bruissent les orages déchaînés
Les trains roulent en tourbillon sur les réseaux enchevêtrés
Bilboquets diaboliques
Il y a des trains qui ne se rencontrent jamais
Dautres se perdent en route
Les chefs de gare jouent aux échecs
Tric-trac
Billard
Caramboles
Paraboles
La voie ferrée est une nouvelle géométrie
Syracuse
Archimède
Et les soldats qui légorgèrent
Et les galères
Et les vaisseaux
Et les engins prodigieux quil inventa
Et toutes les tueries
Lhistoire antique
Lhistoire moderne
Les tourbillons
Les naufrages
Même celui du Titanic que jai lu dans le journal
Autant dimages-associations que je ne peux pas développer dans mes vers
Car je suis encore fort mauvais poète
Car lunivers me déborde
Car jai négligé de massurer contre les accidents de chemin de fer
Car je ne sais pas aller jusquau bout
Et jai peur.

Jai peur
Je ne sais pas aller jusquau bout
Comme mon ami Chagall je pourrais faire une série de tableaux déments
Mais je nai pas pris de notes en voyage
Pardonnez-moi mon ignorance
Pardonnez-moi de ne plus connaître lancien jeu des vers
Comme dit Guillaume Apollinaire
Tout ce qui concerne la guerre on peut le lire dans les Mémoires de Kouropatkine
Ou dans les journaux japonais qui sont aussi cruellement illustrés
À quoi bon me documenter
Je mabandonne
Aux sursauts de ma mémoire&

À partir dIrkoutsk le voyage devint beaucoup trop lent
Beaucoup trop long
Nous étions dans le premier train qui contournait le lac Baïkal
On avait orné la locomotive de drapeaux et de lampions
Et nous avions quitté la gare aux accents tristes de lhymne au Tzar.
Si jétais peintre je déverserais beaucoup de rouge, beaucoup de jaune sur la fin de ce voyage
Car je crois bien que nous étions tous un peu fous
Et quun délire immense ensanglantait les faces énervées de mes compagnons de voyage.
Comme nous approchions de la Mongolie
Qui ronflait comme un incendie
Le train avait ralenti son allure
Et je percevais dans le grincement perpétuel des roues
Les accents fous et les sanglots
Dune éternelle liturgie

Jai vu
Jai vu les trains silencieux les trains noirs qui revenaient de lExtrême-Orient et qui passaient en fantômes
Et mon Sil, comme le fanal darrière, court encore derrière ces trains
A Talga 100.000 blessés agonisaient faute de soins
Jai visité les hôpitaux de Krasnoïarsk
Et à Khilok nous avons croisé un long convoi de soldats fous
Jai vu, dans les lazarets, des plaies béantes, des blessures qui saignaient à pleines orgues
Et les membres amputés dansaient autour ou senvolaient dans lair rauque
Lincendie était sur toutes les faces, dans tous les cSurs
Des doigts idiots tambourinaient sur toutes les vitres
Et sous la pression de la peur, les regards crevaient comme des abcès

Dans toutes les gares on brûlait tous les wagons
Et jai vu
Jai vu des trains de 60 locomotives qui senfuyaient à toute vapeur pourchassées par les horizons en rut et des bandes de corbeaux qui senvolaient désespérément après
Disparaître
Dans la direction de Port-Arthur.

À Tchita nous eûmes quelques jours de répit
Arrêt de cinq jours vu lencombrement de la voie
Nous le passâmes chez Monsieur Iankéléwitch qui voulait me donner sa fille unique en mariage
Puis le train repartit.
Maintenant cétait moi qui avais pris place au piano et javais mal aux dents
Je revois quand je veux cet intérieur si calme, le magasin du père et les yeux de la fille qui venait le soir dans mon lit
Moussorgsky
Et les lieder de Hugo Wolf
Et les sables du Gobi
Et à Khaïlar une caravane de chameaux blancs
Je crois bien que jétais ivre durant plus de 500 kilomètres
Mais jétais au piano et cest tout ce que je vis
Quand on voyage on devrait fermer les yeux
Dormir
Jaurais tant voulu dormir
Je reconnais tous les pays les yeux fermés à leur odeur
Et je reconnais tous les trains au bruit quils font
Les trains dEurope sont à quatre temps tandis que ceux dAsie sont à cinq ou sept temps
Dautres vont en sourdine, sont des berceuses
Et il y en a qui dans le bruit monotone des roues me rappellent la prose lourde de Maeterlinck
Jai déchiffré tous les textes confus des roues et jai rassemblé les éléments épars dune violente beauté
Que je possède
Et qui me force.

Tsitsika et Kharbine
Je ne vais pas plus loin
Cest la dernière station
Je débarquai à Kharbine comme on venait de mettre le feu aux bureaux de la Croix-Rouge.

Ô Paris
Grand foyer chaleureux avec les tisons entrecroisés de tes rues
et tes vieilles maisons qui se penchent au-dessus et se réchauffent
Comme des aïeules
Et voici des affiches, du rouge du vert multicolores comme mon passé bref du jaune
Jaune la fière couleur des romans de la France à létranger.

Jaime me frotter dans les grandes villes aux autobus en marche
Ceux de la ligne Saint-Germain-Montmartre memportent à lassaut de la Butte
Les moteurs beuglent comme les taureaux dor
Les vaches du crépuscule broutent le Sacré-CSur
Ô Paris
Gare centrale débarcadère des volontés carrefour des inquiétudes
Seuls les marchands de couleur ont encore un peu de lumière sur leur porte
La Compagnie Internationale des Wagons-Lits et des Grands Express Européens ma envoyé son prospectus
Cest la plus belle église du monde
Jai des amis qui mentourent comme des garde-fous
Ils ont peur quand je pars que je ne revienne plus
Toutes les femmes que jai rencontrées se dressent aux horizons
Avec les gestes piteux et les regards tristes des sémaphores sous la pluie
Bella, Agnès, Catherine et la mère de mon fils en Italie
Et celle, la mère de mon amour en Amérique
Il y a des cris de sirène qui me déchirent lâme
Là-bas en Mandchourie un ventre tressaille encore comme dans un accouchement
Je voudrais
Je voudrais navoir jamais fait mes voyages
Ce soir un grand amour me tourmente
Et malgré moi je pense à la petite Jehanne de France.
Cest par un soir de tristesse que jai écrit ce poème en son honneur

Jeanne
La petite prostituée
Je suis triste je suis triste
Jirai au Lapin Agile me ressouvenir de ma jeunesse perdue
Et boire des petits verres
Puis je rentrerai seul

Paris

Ville de la Tour unique du grand Gibet et de la Roue.




 

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